Passé le col de Roncevaux, notre cher meuble perd un peu de sa superbe ; disparu le brillant qui faisait son orgueil, évanoui son bel aspect flatteur, ne reste qu’un meuble quelconque, banal, mais qui fait encore son petit effet.

Quelques jours plus loin, franchi le magnifique pont roman de Puente la Reina, le meuble se disjoint, se démantibule, se disloque; ne reste que quelques planches éparses, du bois à brûler.

Enfin, après des journées et des journées de marche dans la solitude, le silence et la beauté du chemin, à travers l’immense Meseta de Castilla y León, déserte et grandiose, les planches sans importance retournent dans l’humus profond rejoindre les racines dont elles sont issues.

De même, le marcheur débarrassé des frivolités qui encombraient son maigre cerveau, devient enfin humble pèlerin et se révèlent en lui la fragilité, la vanité, la fugacité de son existence; en même temps, marchant des lieues et des lieues, des jours et des jours dans la nature sauvage, sous un soleil roi, sous une pluie chagrine ou dans la douceur parfumée d’une forêt d’eucalyptus, l’homme, fils prodigue de la création redevient frère de l’arbre, ami de l’écureuil, complice des oiseaux s’envolant à la brisure d’une brindille, ombre des étoiles, enfant ébloui de la splendeur des fleurs inconnues qui chantent le long du chemin.

Alors, comme une source pure et fraîche, la prière coule d’elle même, joyeuse, sincère; le brouillard de sa vie se dissipe et il ressent quelque chose de supérieur, d’indicible, comme une relation cosmique avec la Création, avec l’Esprit, et le pèlerin marche avec bonheur sur le chemin qu’il voudrait sans fin....."

Charles-Henri MASSON, pèlerin